[Essai] La traque

La traque a commencé. Les hommes avancent, un sourire torve accroché à leurs lèvres. Pour eux, c’est un jeu. Pour les enfants, c’est une question de vie ou de mort.

Une soixantaine de gamins âgés de deux à douze ans vivaient ici, avec quelques femmes qui s’en occupaient. L’énorme bâtisse aurait pu être qualifiée d’orphelinat, bien que la majorité de pensionnaires aient encore des parents en vie, mais qui ne se souciaient pas d’eux, des bâtards non désirés et gênants. Ils les confiaient donc à l’établissement qui les recueillait. Pas par bonté d’âme, oh non ! Pour organiser, une fois par an, la chasse. Une chasse très particulière…

Dylen tremblait depuis que le coup de feu annonçant le départ avait retenti. Ses muscles tétanisés lui interdisaient le moindre mouvement. Mais il ne pouvait pas rester là, sinon ils le trouveraient immédiatement. Et toute l’énergie que ses neuf ans lui avaient fourni, tous les efforts déployés pour s’aménager une cachette en prévision de ce jour, tout serait réduit à néant. L’enfant raffermit sa volonté, força son corps à se décrisper. Dès qu’il pu bouger, il se mit à courir. Vite. Avec la force du désespoir. Il atteignit l’extrémité d’un couloir dont la peinture jaunâtre sur les murs s’écaillait, et emprunta un escalier en colimaçon. Trop pressé par la peur, il dérapa et dévala les marches sur les fesses. Arrivé en bas, il esquissa une grimace, mais ne s’attarda pas sur sa douleur. Il n’en avait pas le temps. Il se trouvait à présent au deuxième étage du bâtiment qui en comportait trois, dans un autre couloir, semblable en tout point à celui qu’il venait de quitter. Il reprit sa course effrénée, arriva devant un croisement et s’engouffra sans hésiter dans l’aile droite. Il passa devant une série de portes, ouvrit violement la septième, puis la referma un peu plus calmement. Haletant, il n’accorda pas un regard au mobilier de la pièce, composé d’une table de chevet ronde, d’une petite commode, et d’un lit deux places en bois de sapin recouvert d’un drap de toile bleue. Il se dirigea directement, malgré l’obscurité quasi totale qui régnait dans la chambre, vers un placard fiché dans le mur. Il en fit coulisser la porte, et se rua à l’intérieur. Il y avait peu d’espace. Il palpa le fond jusqu’à découvrir un le bord d’un panneau. Il le déplaça, fit un pas en avant. Il était dans la cachette. En replaçant précautionneusement la plaque, Dylen se sentit à nouveau respirer.

Voilà une heure que Dylen se trouvait en sécurité. Sécurité relative bien sûr, mais supérieure à celle des autres enfants. Les autres enfants…Ses amis…Depuis le début de la traque, le jeune garçon s’était efforça de na pas y penser. Trop douloureux. Car il n’avait rien fait de plus ni de moins que les abandonner. Purement et simplement. Mais en les entraînant avec lui, il aurait ruiné ses chances de réussir. Et il voulait survivre. A tout prix. Il avait donc délaissé ses compagnons et son honneur d’enfant. Même Mya…Etait-elle encore en vie à cette heure ? Dylen savait que les chasseurs tuaient en priorité les bébés, des cibles faciles qui les mettaient en appétit. Elle avait peut-être réussi à s’échapper ! Espoir mort-né. Un cri déchirant retentit, plus long et chargé de haine que les précédents. Dylen se terra contre le mur glacé en sanglotant. Il aurait reconnu la voix hurlante entre mille. Mya ! Il se recroquevilla, secoué par des pleurs incessants accompagnés de hoquets. Il se força à arrêter, sachant que le bruit pouvait le trahir. Mais il est impossible pour un enfant de neuf ans de retenir ses larmes alors qu’il vient de perdre l’être qui comptait le plus à ses yeux - le seul qui ait jamais véritablement compté. Vint le moment où ses yeux s’asséchèrent. Il resta immobile, un goût salé sur les lèvres, un goût amer sur le cœur.

La chasse a débuté avec le lever du soleil. A présent, la lune le remplace dans le ciel. Elle éclaire de sa lumière blafarde le bâtiment et les jardins. Les hommes sont dehors, assis autour d’un feu. Ils rient, et comptent leurs trophées. Il leur manque encore une dizaine d’enfants. Un rire tonitruant s’élève, couvre le bruit des conversations. Debout, un grand blond fait rouler ses muscles. Il a descendu quinze gamins, soit bien plus que les autres. Il est fier. Il se rassoit finalement au milieu du cercle des cinq hommes. D’ici une heure, ils recommenceront à chercher. A trouver. A tuer.

Dylen n’avait toujours pas bougé. Pas même un orteil. Il entendait les traqueurs, dans les jardins. Une vague de haine le submergea. Pourquoi laissait-on faire ces sales aristocrates ? Il serra les poings et la réponse lui apparut, évidente. Ils avaient de l’argent. C’était aussi simple que ça. Contre une poignée de billets, on leur offrait la dernière chose que possédaient encore les gosses de l’établissement. Leurs vies. Le ventre du garçon émit un léger grognement. Il se décolla du mur, et rampa jusqu’à une impressionnante pile de nourriture, amassée tout au long de l’année. Dylen avait veillé à choisir des denrées peu périssables. Sachant qu’il avait un appétit d’oiseau, il pouvait bien tenir six mois dans la cachette. Il l’avait aménagée d’une couverture et d’un oreiller. Un trou dans le mur, ouvert sur une pièce close en permanence à l’étage inférieur, lui permettrait de faire ses besoins. Il ne pourrait pas se laver, mais à vrai dire il n’avait pas trop prêté attention aux questions d’hygiène. Seule comptait la survie.


Ecrit début 2007.

Ouaou ! J'adore la manière dont tu écris, c'est fluide et je n'ai pas remarqué de faute notable

Qu'est-ce que c'est horrible ce que tu écris... J'en ai des frissons.

J'ai juste une remarque : à un moment, tu dis que le garçon n'a pas le temps de regarder les meubles dans la petite pièce mais tu les décris quand même... Ca m'a déconnecté de ton texte, bien qu'après je sois vite re-entrée dedans. Voilà !

Continue !

je suis tout à fait de l'avis d'Aléa, bien que je n'avais pas tilté sur le deuxième point, mais Al' a raison... mais je l'ai déjà dis la perfection n'existe pas !

J'ai juste noté une faute d'orthographe, mais j'ai vraiment fouillé le teste, surtout la fin ^^
"étage inferieure"
Un "e" en trop, mais je cherche le poil sur l'oeuf (je suis pas sûre de l'expression mais bon ^^)

Merci d'avoir relevé la faute, je vais corriger ça. Et en fait, étant donné que le narrateur est extérieur, je n'avais pas pensé que décrire la pièce serait gênant.

ba moi je dit bravo c'est fort, tres fort ...